Nul ne savait d’où il venait.

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Certains disaient qu’il avait toujours été là, insensible au temps, tel Tom Bombadil : il était là, c’était tout. D’autres affirmaient qu’il venait d’une autre dimension, voire d’un labyrinthe extraordinaire où toutes les dimensions de l’existence se rejoindraient. Pour d’autres encore, c’était un membre d’une civilisation mythique et lointaine, banni pour des crimes innomables ou peut-être parce qu’il avait découvert des secrets que nul n’aurait dû connaître. D’autres voyaient en lui une incarnation du démon. Certains prétendaient qu’il était humain mais était parvenu à acquérir de terribles pouvoirs.

Pour d’autres enfin il n’existait pas ; c’étaient les plus nombreux. Et pourtant...

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On l’appelait Dynamite Roger. Il était là, quelque part, tout près. La plupart des gens ne le remarquerait jamais.

Mais suivons cet homme qui fait son marché sans se douter de rien. Alors qu’il fend la foule, quelque chose attire soudain son attention. Tournant la tête, il croise un regard... fasciné, il ne peut s’en détacher. Il le tente, bien sûr, mais trop tard : déjà sa volonté l’abandonne. C’est à peine s’il a le temps de réaliser toute l’horreur de la situation tandis qu’une sensation nouvelle et irrésistible l’envahit peu à peu, prenant la place de ses anciens désirs et sentiments : cette sensation indéfinissable qu’on appelle en anglais le...

Bomber Instinct
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À chaque fois qu’il tenait une nouvelle victime en son pouvoir, Dynamite Roger souriait. Ou plus exactement... c’est étrange car en réalité il souriait en permanence, aussi ce sourire, étant son expression naturelle, n’avait-il pas une réelle valeur de sourire. Pourtant, et sans réellement changer d’expression, il semblait nettement se mettre à sourire à l’instant précis où la victime était entièrement submergée par le « Bomber Instinct ». Puis il tournait les talons, et la victime semblait alors se réveiller ; de cette entrevue, elle n’avait pas de souvenir au sens usuel du terme, et la foule, indifférente, n’avait rien vu.

Si à ce moment il s’était trouvé quelqu’un pour lui demander : « Eh bien, qu’est-ce que tu as ? », la victime aurait vraisemblablement répondu : « Rien... j’ai eu une absence... j’ai rêvé de bombes. De belles bombes noires avec des têtes de mort blanches qui me souriaient : “Viens...” disaient-elles, “Viens avec nous, car nous t’aimons.” »

Mais cela n’arrivait jamais : si la victime avait des compagnons, ils étaient à quelque distance et regardaient dans une autre direction. Vraisemblablement, Dynamite Roger tenait à la discrétion.

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Bientôt, le malade commençait à dégager une odeur de poudre de plus en plus forte, puis il réussissait à produire des étincelles en claquant des doigts ; il passait de plus en plus de temps concentré sur des pensées inaccessibles au commun des mortels et s’intéressait de moins en moins au monde alentour. Il ne mangeait plus, ne dormait plus. A ce stade, si la population du lieu savait de quoi il retournait, on évacuait la maison. C’était la seule chose à faire, et de toute façon il ne s’en apercevait pas.

Enfin, un jour, il devenait capable de poser des bombes. C’étaient invariablement de grosses bombes noires, rondes, ornées d’une tête de mort blanche. Il commençait alors par faire sauter sa maison, après quoi il s’en allait, détruisant tout sur son passage. Il était inutile d’essayer de l’arrêter. Bien sûr, on pouvait réussir à le faire périr dans une de ses explosions, mais c’était au prix de risques que seuls les fous étaient prêts à prendre, et puis c’était sans intérêt : il finirait bien par y passer, se disait-on. Et en attendant, on préférait la fuite, qui avait fait ses preuves.

Une question revint à chaque cas de la maladie : mais d’où sort-il (elle) ces @#!$@% bombes ?? Question à laquelle on n’a pas le moindre élément de réponse puisque personne n’a jamais survécu à l’approche d’un Jolly Bomber vivant (c’est ainsi qu’on appelait les victimes de Dynamite Roger) et que leurs cadavres sont réduits en miettes si fines qu’il n’y a rien à en tirer. Toujours est-il qu’on n’a jamais vu un Jolly Bomber à court de bombes...

Parfois on apprenait que le Jolly Bomber avait été vu à tel ou tel endroit, éventuellement très éloigné. Et puis un beau jour on n’en entendait plus jamais parler. On pensait alors qu’une explosion l’avait tué. Mais qu’en était-il vraiment ?

Suite...